LA PERCEPTION DU MAL. Chapt. VIII.

Publié le par David De.

- Pourquoi as-tu tué cette fille, imbécile!! Je t'ai dit quoi?

(Chapitres précédents : LA PEUR DU VIDE. Part I Prologue, LA PEUR DU VIDE. Part II Chapitre I, LA PEUR DU VIDE. Part II Chapitre II, LA PEUR DU VIDE. Part II Chapitre III, LA PEUR DU VIDE. Part II Chapitre IV, LA PEUR DU VIDE. Part II Chapitre V et LA PEUR DU VIDE. Part II Chapitre VI) .
- De faire exactement ce que tu me dis, dit-il d'une voix tremblante.
- Et t'as fait quoi?? dis-je d'une voix chantante. Comme bon te semblait, hein?- Tu t'es cru envahi, sublimé, révélé?
- Non! Je t'assure que non.
J'avance vers lui lentement, tandis qu'il recule jusque dos au mur. J'approche encore et il se laisse glisser jusqu'au sol.
- Si! Tu t'es cru au dessus de moi.
- Je croyais qu'une âme de plus...Je ne voulais pas te manquer de respect, dit-il d'une voix chevrotante.
- Te voir courber l'échine de plus en plus, à chacune de mes remarques, me fait gerber. Ouvre la bouche.
- Quoi? me demande t-il, aux limites de l'évanouissement.
- Je t'ai dit d'ouvrir la bouche. dis-je, d'un ton solennel.
J'enfonce le Beretta bien profond dans sa gorge.
- Au moins, je n'entendrais plus ta plainte. Comme celle du frigo, dis-je avec cynisme.
- Tu connais la plainte du frigo? Celle avec laquelle on vivait parce qu'on dormait dans la même pièce que lui? On croyait presque qu'il était vivant, tant on ne pouvait oublier sa présence toutes les demi-heures, selon qu'on le dégivrait régulièrement ou pas.
Il était presque notre conscience qui nous rappelait sans cesse que si on ratait notre carrière, il nous hanterait le restant de nos jours. C'est ton cas, on dirait? Tu l'entends?
Il veut dire quelque chose qui lui tient à cœur, alors je laisse glisser le canon de l'arme sur sa langue, en l'extirpant de sa gorge et ses mots deviennent audibles:
- Je te promets que je vais me racheter, dit-il, en sueur et en pleine panique. J'obéirai, je ne ferai plus rien sans...
- Tu te prends pour Hitler ou Staline? Tu crois vraiment que tu as les moyens de fournir autant d'âmes? Tu as fait une erreur qui m'encombre. Tu es aussi une erreur qui m'encombre. Je me demande encore pourquoi le monde s'encombre d'âmes inutiles comme la tienne. Peut être que tu n'en es qu'à ta première visite. Mais déjà ton âme sent la pourriture. Tu seras à moi tout entier à ton retour. Et tu n'auras pas le droit de choisir: tu as déjà vendu ton âme pour l'éternité...Tu as intérêt à être plus futé la prochaine fois. Sinon, tu ne dureras pas plus longtemps que cette vie-là.
Je fixe mes yeux sur les siens; je lâche un "bye,bye" et j'appuie sur la détente sans relâcher. Le Beretta crache sans s'interrompre, tout son chargeur. La culasse est en retrait, bloquée par le chargeur vide. Je regarde une dernière fois Viktor dans ses yeux vides: son âme l'a déjà quitté.
J'essuie la crosse, prends la main de Viktor, colle ses doigts dessus et pose l'index sur la détente. Je m'approche de l'ordinateur portable (probablement volé et destiné à un échange pour un peu de poudre "d'escampette" de l'esprit) avec une imprimante "Kinder" dernier cri, et je tape une jolie lettre d'adieu à fort élan lyrique et spirituel, histoire de le rendre plus précieux qu'il ne l'était.
J'ai eu tort. Tort de l'avoir choisi. Tort de choisir un "tox" parmi mes fidèles, on ne peut pas s'y fier. Ils ne peuvent s'empêcher de"merder". Je croyais l'avoir converti aux petits cachets. Mais il est vrai qu'ils ne donnent pas d'orgasme...Rien ne vaut un fix. Comme dit Renton dans "Trainspotting": "Take the best orgasm you ever had. Multiply by a thousand. And you're still nowhere near it".
L'héroïne est le meilleur des prophètes. Elle tient ses promesses. Elle vous promet le paradis : Elle vous le donne. Les 70 vierges du Coran et la droite de Dieu, à côté, sont de bien piètres arguments. Aucun plaisir, sinon la souffrance avant le Nirvana; la mort. Stupide, non?
Nous vous promettons la damnation éternelle. Qui n'est pas peu séduisante: Elle vous promet un autre pouvoir: punir les salauds; torturer les ordures et condamner l'injustice. Ce que ne sait pas faire votre Dieu, tout seul. Parce qu'il s'est cru au dessus des autres, ses semblables. Il a créé un monde à sa manière et tous les autres se moquent de lui, vu le résultat.
C'est un Dieu banni par les siens. Et je suis là pour recueillir les damnés sur lesquels il se venge de son incompétence.

J'ouvre les yeux très lentement. Je me sens léger et libéré de toute mauvaise conscience. Je n'arrive pas à l'expliquer mais, je me sens serein.
J'ai rêvé de Viktor. Certainement parce que j'ai appris sa mort mais je me souviens à peine du reste. Alexis est assis devant moi:
- Bonjour.
- Bonjour, Alexis. Alors? Et tes affaires?
- Tout va bien. Et les tiennes?
- Les miennes? Elles sont plus terre à terre. Je me cantonne à dépenser l'argent que tu m'as laissé.
- Où est Catherine?
- J'en sais rien. Avec son mari, probablement. On n'a plus vraiment de points communs depuis que je sais qu'elle est mariée.
- Tu as tort: personne n'est à l'abri d'un accident, dit Alexis avec conviction. Elle pourrait être libérée de toute obligation. Les veuves sont libres de tout engagement. Crois-moi, j'en connais un rayon.
J'éclate de rire. Je le regarde avec bienveillance, ravi qu'il me ramène à la réalité. Je réponds en continuant à rire:
- Impossible de trouver meilleur témoin!
- Tu crois qu'elle a besoin d'un petit coup de pouce? Demande Alexis. Elle ne faillira pas à ses obligations, ainsi.
- Tu veux certainement dire, un petit accident? non. Tes méthodes ne sont pas les miennes. Mais c'est gentil de demander.
Il est 20h17. L'heure à laquelle je m"adonne, me donne tout entier à Jack. La bouteille est vide. Je regarde Alexis et lui montre, en la secouant.
- Ma vodka est toujours là, répond-il. Plus très fraîche. Les quatre bouteilles qui restent tiendront bien dans ton freezer.
Il sert deux verres et prononce:
- A Spartacus!
- Pourquoi Spartacus?
- Parce qu'il est unique, donc le premier à se révolter contre l'oppression. Le premier leader sans argent, ni pouvoir que l'Histoire a honoré durant des millénaires. Tout çà pour quoi? Il a marqué l'Histoire de l'Humanité sans qu'on en tire de leçon. La "révolution"? C'est un mot qui signifie: passer d'une forme d'oppression à une autre.
La révolte! çà c'est un mot fort rien que dans son intonation. La révolution, c'est tourner en rond, non?
- C'est vrai ce que tu dis, Alexis. C'est bien sa définition au sens mathématique.
- Au sens politique aussi, mon ami.
- Je te connaissais spirituel mais pas philosophe, lui réponds-je. On dirait un sujet de phlo. Te voilà millionnaire et rentier et tu craches dans la soupe?
- C'est faux: je ne spécule pas, je ne ruine pas la vie de pauvres gens qui se tuent à la tâche, pour une plus-value. Je prête de l'argent à l'Etat Fédéral à un taux assez élevé, il est vrai, puisqu'il est au bord de la ruine. Mais je n'y suis pour rien: ce sont les mêmes agences (privées) de notation, qui provoquent des crises financières en bidonnant les chiffres des grandes banques et entreprises depuis la dérégulation de Reagan et Thatcher, qui notent les Etats! Je n'ai rien à me reprocher. Je m'adapte à la pensée unique, c'est tout.
- Tu es très ambigu, Alexis. Tu cours après le fric depuis que tu as fui l'ex URSS et tu tiens des propos de révolutionnaire, qui ne peuvent, par les temps qui courent, qu'être "rouge".
- De révolté! Je te l'ai expliqué il y a à peine 5 minutes. Le communisme en Russie était une supercherie. Le pouvoir n'était pas au peuple, mais au KGB et à l' Armée, grâce à Staline. Une dictature déguisée qui a bien servi les USA et Reagan au départ communiste, mais très influençable, dés lors que son existence était menacée. Pourtant, il était conscient qu'il ne manquerait à personne, sauf à Nancy. Une fiote qui a quand même eu la peau de l'empire soviétique et trahit Gorbatchev, prêt à rendre plus humaine l'Union Soviétique.
Mais il est vrai que quand tu étais doué pour quelque chose, tu n'avais pas besoin de bosser à Mac Donald ou être bon en sport pour financer tes études: le Parti veillait sur toi. Kasparov est un ingrat...
- Ressers-toi. Je ne sais ce qui te prend mais j'ai l'impression que tu es en train de cracher ce que tu refoules depuis bien longtemps. Tu étais quand même communiste??
- Oui. Mais subversif au yeux du Parti. J'ai d'ailleurs adoré lire "1984" de George Orwell. Mais à présent, il peut aussi s'appliquer à ce système. Comme je te l'ai dit et tu as sûrement oublié: la "révolution" est la fin d'une forme d'oppression qui succède à une autre. La roulette Russe: comme un revolver, la balle qui n'a pas été tirée fait le tour jusqu'à ce qu'elle se présente devant le canon et te troue la cervelle: il suffit de remplacer "télécran" par "télévision" et propagande par publicité et sitcom (résidence, maison à 3 étages et 3 4x4 devant le garage) et te voilà devant une autre dictature: l'argent..
Comme je me suis retrouvé dans ce "royaume", j'ai dû m' adapter. Si j'avais immigré à l'époque du mac-carthysme, j'aurai fini sur la chaise électrique, comme Sacco et Vanzetti.
- Oh là, parle moins fort! tu es aux USA ici! C'est un coup à être brûlé vif dans sa propre maison!
- Tu as raison. Pardonne ma ferveur mais ce monde injuste me dégoûte. J'ai tellement envie de le punir... et j'ai l'argent pour çà.
- Tu crois que le monde se trompe de voie, n'est ce pas? Je le crois aussi. Mais à part une crise financière de plus, je ne vois pas ce qui peut l'ébranler. Je vais nous resservir car je crois qu'on est "hypra-high" et çà va nous faire redescendre, dis-je avec ironie alors que je me rends compte au fur et à mesure qu'Alexis est sincère et est devenu intègre. Grâce à ses revenus inaliénables, il est incorruptible.

C'est fou ce que l'argent peut apporter dans ce monde: la liberté (OJ Simpson), l'impunité (la famille Bush); mais surtout l'intégrité. Il suffit juste de payer.
La Kalachnikov a fait son temps dans le monde occidental. La nouvelle arme, c'est le chéquier ou le virement.
En Afrique, c'est différent. Les marchands d'armes ont besoin d'exister. Fournir le pouvoir en place (grâce aux multinationales occidentales avec l'aval de nos gouvernants) et les rebelles, c'est tout bénef'. Les diamantaires d'Anvers ne diront pas le contraire.
Alexis vient de me faire prendre conscience de la honte que je devrais éprouver: j'ai voté pour ces ordures qui affament le monde et provoquent des guerres. Mêmes celles de l'Antiquité...Tout çà pour une histoire de pognon. Toujours pour une histoire de pognon. Le monde est ainsi fait: faire du fric. Le reste n'a d'importance que s'il a de l'écho. Sinon, il tombe dans l'oubli.

Alexis reprend la parole:
- Tu sais, Adelaïde m'a apporté plus que n'importe qui: l'estime de moi-même. Peut être que si elle avait vécu plus longtemps, je l'aurai aimé de son vivant. Mais comme je l'avais épousé pour son argent, il m'était difficile de la voir autrement qu'un paquet de fric.
Elle le savait. Mais elle savait aussi que je finirai par l'aimer. Même morte. Je l'aime, tu sais. Elle a réussi. C'était une femme pleine de bonté et je m'efforce d'honorer sa mémoire. Elle savait que je le ferai. C'est pourquoi elle m'a choisi. Et j'irai jusqu'au bout de sa volonté. Ma vie n'a aucun sens, sinon. Peut être que ma mort en aurait un, alors.

On dirait que Alexis a atteint un autre pallier de son état alcoolique. Le faire redescendre va être difficile. A moins de glisser une petite pilule dans son verre...Vu qu'il n'est pas habitué, le sommeil aura raison de sa conscience, A moins que le cachet ait raison de la sienne, de raison...
Le doute me prend à la gorge, et j'hésite à le faire.
Alors, pour qu'il quitte sa "phase patho", je lui parle de:
- Valérie! tu te souviens de Valérie? Ce corps parfait, de la pointe de ses seins jusqu'au bout de son 36. Mais avec un mec enfermé à l'intérieur?
- Oui! Cette fille qui vivait comme un mec, pensait et plaisantait comme un mec, enfin tout comme un pote de régiment, enfermé dans un corps de femme. Un pote avec qui on pouvait coucher. Mais impossible d'en être amoureux. Il lui manquait la féminité.
- Oh oui! ce corps rêvé qui inspirait le sexe, rien que le sexe. On devenait "addict". Mieux que l'héroïne...Et non: on ne tombait pas amoureux d'elle; mais tu as perdu la tête quand même, Alexis, quand tu l'as quittée.
- Son corps était une drogue qu'aucune autre ne pouvait se substituer à elle, dit Alexis. Je n'arrivais plus à faire l'amour à une autre femme, après elle. Elles me semblaient toutes fades que je n'avais plus de désir au point de blesser. Je me souviens avoir revu cette femme mariée qui trompait son époux sans état d'âme, me dire: "Tu ne me désires plus?" et partir en pleurant...

Je venais d'aborder un sujet que je croyais clos depuis des années et dont on pouvait rire autrefois, tant cette fille était vulgaire, mot qu'elle confondait avec grossièreté. La vulgarité est dans les manières, pas les mots. Ce qui nous distinguait d'elle: nous étions grossiers mais jamais vulgaires.
- "Arbeit macht frei".
- Qu'est ce qui dit? interroge-je.
- "Arbeit macht frei". Ils avaient de l'humour, ces nazis. Cà dit bien ce que çà veut dire, non?
- De quoi parles-tu, Alexis?
- Je dis que mettre çà devant un camp de travail forcé, c'était plutôt marrant. Avant qu'Auschwitz ne devienne ce que l'on sait.
- Cà devait bien faire marrer les communistes, ajoute-je. C'était peut être une façon de les démasquer? Le premier qui passait devant en se marrant, avait un séjour gratuit illimité.
Alexis éclate de rire au point d'en être écarlate et proche de l'asphyxie.
Il ajoute en continuant à rire et s'efforçant de ne pas s'étouffer:
- ils se moquaient carrément des cons de salariés qui leur avaient offert le pouvoir sur un plateau d'argent. Comme ils savaient qu'il n'y avait que les cons pour les encenser, ils étaient sûrs qu'ils ne comprendraient jamais, sauf les communistes!
- Malin! Conclus-je. Décidément, Machiavel serait fier de notre monde "moderne". Il en aurait peut être un peu honte, non? demande-je.
- Je ne sais, mon ami. Je ne l'ai pas lu. Ma politique à moi, c'était de faire du fric. Cà mène au même résultat: le pouvoir.
- Ce que tu m'uses de salive, dis-je. J'ai soif: heureusement que tu es prévoyant. La vodka doit être vêtue d'un voile de givre à présent. D'une belle robe blanche qui réclame nos épousailles! Qu'en dis-tu?
- Quand mon verre est vide, ne me demande rien: ressers-moi, tout simplement! conclut Alexis.
En me dirigeant avec hésitation, à savoir quel pied devait passer devant l'autre, vers le congélateur, je dis:
- Tu me rappelles mon jeune temps: te souviens-tu, avant que tu ne choisisses le côté obscur...
- Mais clairvoyant, m'interrompt Alexis. Mes diplômes soviétiques ne valaient rien chez vous.
Je me voyais mal faire le larbin avec un doctorat en neuro-psychiatrie! La clandestinité en URSS m'avait fait côtoyer le crime organisé. J'ai choisi ce camp-là, moins humiliant, en arrivant ici. J'ai pas eu raison?
- Qui peut t'en blâmer? réponds-je, en rapportant sur un plateau d'argent, inspiré par cette soirée, la vodka dans un seau à champagne garni de glaçons saupoudrés de gros sel. Ma démarche est hésitante mais déterminée.
Je dépose le tout sur la table et saisit le sac débordant de billets en le blottissant contre moi:
- Tu veux que je t'en blâme, moi? Il fallait me le demander 24h plus tôt!
- Ah, Ah! Dis-moi, au fait: ces deux flics ne t'inquiètent pas ?
- Non, pourquoi? C'est un suicide,non? Ils font simplement leur travail.
- Une erreur judiciaire, par exemple.
Je repense au Beretta qui rouille dans le tiroir du bureau.
- A quoi penses-tu? me demande Alexis.
- A ce que tu viens de dire. Je ne suis pas noir et on n'est pas au Texas. D'ailleurs, je ne comprends pas que les fédéraux enquêtent sur une affaire locale.
- Je me le demandai aussi...Le poisson est peut être beaucoup plus gros et ils ne tenaient pas à ce que les autorités locales classent l'affaire trop vite. Qu'y a t-il d'autre qui te concerne? me demande t-il.
- Une disparition...Une fille avec qui je couche épisodiquement a disparu.
- Cà fait beaucoup pour un seul homme, conclut Alexis. Normal qu'ils rôdent comme des hyènes à l'affût.
- Qu'insinues-tu? Me crois-tu mêlé à ces histoires??
Alexis ne répond pas et me fixe dans les yeux d’un air grave, en baissant légèrement la tête.



David de...

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