LA PERCEPTION DU MAL. Chapt V.

Publié le par David de...

Je plonge mes doigts dans le crâne fraîchement ouvert. (Chapitres précédents : LA PERCEPTION DU MAL. Chapt. I. , LA PERCEPTION DU MAL. Chapt. II. , LA PERCEPTION DU MAL. Chapt. III. , LA PERCEPTION DU MAL. Chapt. IV. La cervelle est encore chaude, comme le ventre ouvert d'un phoque, que les Esquimaux, à la fin de la chasse, éventrent et dévorent le foie avec les doigts. J'aurai pu prendre un couvert, une petite cuillère, mais elle aurait couvert, comme son nom l'indique, la pureté du goût de ma pioche. Les couverts: une invention pour se distinguer. Jusqu'à ce qu'ils soient adoptés par tous pour supprimer le rince-doigts, commun à tous,donc vulgaire. Se distinguer un peu plus était d'ajouter des couverts: pour le poisson, le dessert, ...
La bête est à peine morte mais le cœur de cet homme bat encore. A peine ai-je pris une poignée d'abats, que la carotide a regorgé de sang la bouchée que je viens d' occire et porter à mes lèvres pour l'engloutir.
Son regard n'est pas vide comme celui qu'on voit dans les yeux d'un mort mais a le reflet de la terreur. Chaque fois que je me sers, comme on se servirait dans une coupelle d'amuse-gueule, son regard perd de son éclat mais la terreur est toujours dans ses yeux. On dirait une étoile qui s'éteint lentement après avoir explosé.
Je continue à dévorer son cerveau car j'ai besoin de son âme. C'est là qu'elle réside, car il l'abrite; elle l'habite. Dans ses profondeurs que l'on croit ne pas se servir. Une sorte de "mémoire cache", de ressource inexploitée puisqu'elle ne fait que se nourrir de nos pensées et de nos actes. De foi, parfois.
Le corps, en l' occurrence le cerveau, et l'esprit ne font qu'un. Je dois donc m'en nourrir physiquement avant que l' âme n' atteigne une dimension spirituelle. L'emprisonner en mon seing.
Je ne m'empare que des âmes corrompues par le péché d'orgueil. Les autres sont négligeables: la gourmandise et la luxure? Quel mal à se faire du bien! L'avarice et l'envie ? Ils se punissent eux-mêmes. La paresse et la colère? Le système en vigueur dans ce monde, se charge de leur faire payer.
L'orgueil en revanche, est un péché qui se passionne pour le pouvoir, qui séduit. C'est même une force que l'on admire ici bas, le plus bas d'ailleurs, de tous les mondes. Si prés de l'enfer,que certains croient déjà y être...
Je me nourris des âmes orgueilleuses, puisque c'est en elles qu'il se fixe. Je les dévore avant qu'elles ne s'embrasent. Qu'elles nuisent bien plus encore à leur retour. Car elles n'ont pas compris le sens de la vie, ni de la mort. Qui elle aussi a un sens.
C'est ainsi que je commence toujours par leur ouvrir le crâne. Je suis: le mangeur d' âme.

J'entends une voix qui prononce mon nom et une main caresse mon bras.
- Armand?
Je sursaute et ouvre les yeux: c'est Catherine.
- Comment es-tu entrée? lui demande-je.
- La porte était entrouverte. J'aurai préféré que tu commences par m'embrasser et me dire bonjour...
- Entrouverte? Désolé. Excuse-moi un instant.
Je me redresse et me précipite sur l'ordinateur: l'enregistrement a été interrompu. Je vérifie la durée d'enregistrement: 4h 17.
- Tu t'occupes de moi? me dit Catherine. Sinon, je vais regretter d'être venue.
- N'en fais pas toute une histoire! J'étais sur un truc important, tu n'as pas remarqué?
- Et quel est ce truc important?
M'expliquer là-dessus me paraît très délicat. Je n'ai plus l'excuse du "Rien d'important": Je viens de lui dire que çà l'était. Je n'ai plus que le "trop long à t'expliquer".
- C'est trop long à t'expliquer, n'ai-je plus le choix de lui dire. Je m'occupe de toi. Un verre?
Elle passe la main dans ses cheveux, qui s'agrippe à sa nuque et paraît suspendue, puis souffle un seul mot, après un silence de quelques secondes:
- Ouais!
- Choisis ce qu'il y a sur la desserte, lui répond-je en tendant un bras vers celle-ci, qui avait migré de son point d'origine à proximité de la table, en glissant sur ses petites roulettes.
- Elle est plutôt déserte, ta desserte...Il reste du porto. Tu le marieras à un glaçon.
Je m' exécute sans aucune objection. Au pas, je rejoins le frigo, en extrait de la glace et apporte un verre que je remplis après avoir ajouté les cubes, jusqu'au plus près des bords.
Je lui tends, elle le saisit et le tend à son tour comme pour m'inviter à trinquer. Je recycle le verre sur la table,qui m'avait tenu compagnie tout l'après midi et l'engorge de whiskey Jack. Nos verres s'entrechoquent avant de les porter à nos lèvres.
- J'ai une nouvelle affaire: défendre un homme accusé d'avoir poignardé sa femme de 17 coups de couteau.
- Ils étaient peut être 17. 17 mecs à lui mettre un coup. Comme "Les dix petits nègres" d'Agatha Christie...suggère-je.
- Romanesque, dit-elle en riant par petits éclats de voix saccadés séduisants.
J'aime même son rire... Je la prends par la taille, elle paraît surprise en écartant les bras presque au delà de leurs limites et les poignets, comme quand elles sentent un parfum, là où parfois elles coupent, quand on leur a fait trop de peine... La bouche entrouverte et les yeux mi-clos, elle se laisse échoir.
Elle penche un peu la tête et je me tente à lui mordre le cou comme un chien qui ne veut pas blesser son maître, mais le prévenir qu'il risque gros.

Mais nous sommes interrompus par cette damnée clochette qui retentit chaque fois que se trouve quelqu'un derrière la porte.
Je me lance pour aller ouvrir mais Catherine retient mon bras en faisant la moue et en secouant la tête. Je vous le donne en mille: de gauche à droite, puis de droite à gauche. Je lève la main en lui tendant la paume et lui murmure:
- çà suffira.
Un second coup de clochette nous fait sursauter et nous transforme en statue de sel. Mais le poivre n'est pas loin. On sait qu'il y en aura un troisième, mais pas plus. Comme dans un taxi.
Un "dernier" effectivement, retentit et me pousse à aller scruter l' œilleton. Catherine montre les dents, non pour mordre mais protester. Je la fixe, solennel, un index sur la bouche.
A la manière des cartoons, je m'approche discrètement de la porte, en imitant le grincement du parquet avec la voix. J'entends un retour de bottes, après un léger silence qui suit l'éloignement des pas. Je stoppe net ma prestation, comme un arrêt sur image.
Ma tête se tourne vers Catherine, sans imiter le grincement d'une porte. Elle montre toujours les dents, jusqu'à la crampe.
Cette fois, l'inconnu derrière la porte, use son poing sur celle-ci:
- T'as pas fini de te foutre de ma gueule, Armand?? hurle t-il.
C'est Alexis, un ami qui ne veut que mes biens. Il a toujours un truc à me demander. Et c'est toujours du blé.
Avoir un nom de petit tsar et en être toujours à quémander, çà sent la fin de règne; le royaume en disgrâce. Car c'est souvent ainsi que périssent les dynasties et les empires: de faillite, depuis l'Antiquité.

"De" par son nom, qui séparait son prénom et de son éducation, il a toujours happé la faveur des dames riches, désœuvrées par les médiocres qui leur volaient autour.
Lui, n'en avait pas l'air mais connaissait très bien la chanson du renard qui savait vanter le ramage à ces vieux corbeaux, perchés très haut sur leurs milliards, que même les pires tempêtes financières, ne pouvaient emporter.
Je reste silencieux et immobile, ne voyant aucun intérêt à me faire plumer comme les perdrix qu'il avait coutume d'abuser, de coups de reins comme de leurs rentes, mais il insiste: il sent que je suis là. C'est un animal puisque c'est un prédateur. Ces bêtes-là sont comme la vermine: impossible de les faire fuir. Il n'y a qu'une solution: les exterminer.
Son poing continue à martyriser la porte. Catherine voit ma main saisir la clef pour lui ouvrir. Elle tape du pied pour attirer mon attention et articuler un "non" sans un son, en me grondant des yeux. Je suis la proie du prédateur. Je suis l'appât. Je serai aussi le piège.

Suite : LA PERCEPTION DU MAL. Chapt. VI.

David de...